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Par Stéphanie Uhde (M. Sc. Économie, HEC Montréal) C’était le lendemain du dépôt du budget 2010-2011 du Québec. Sur les ondes de Radio-Canada, le ministre des Finances du Québec, M. Raymond Bachand, défendait le choix d’une contribution santé, une mesure fiscale régressive devant s’élever à 200 $ par adulte en 2012, plutôt que celui d’une hausse des impôts : « Tous les économistes vous diront que les deux mesures les plus dommageables pour l’économie sont les impôts sur les particuliers et les impôts sur les compagnies ». Tous? Non! Car il y a des économistes qui conçoivent l’économie comme une chose plus grande que la simple addition des biens et services produits dans une année.
Pourtant, combien de politiciens et de chroniqueurs économiques utilisent dans leur discours la représentation commune de la profession d’économiste? Il faut dire que l’avis médiatisé d’économistes de droite, comme ceux du Comité consultatif sur l’économie et les finances publiques, mis en place par M. Bachand en vue du budget, entretient cette image. Leur rapport stipule que « la croissance économique est le seul moyen de relever le niveau de vie de l’ensemble de la société ». Voilà qui justifie les nombreuses mesures régressives contenues dans le dernier budget! En réalité, l’adéquation entre niveau de vie et bien-être n’est que l’interprétation tronquée d’une hypothèse simpliste souvent prise pour acquise en économie. Or, rien dans cette science si controversée ne permet d’affirmer que « tous les économistes » endossent une politique de minimisation des impôts sur le revenu pour favoriser le progrès de la société. En opposition à cette vision commune, de nombreux économistes réunis au sein de forums mondiaux s’efforcent de structurer la mesure d’un progrès vu comme un réel développement. Ils fondent leurs travaux sur la large base de la théorie économique. Aujourd’hui, l’idée d’une mesure du progrès qui soit un meilleur reflet du bien-être des personnes chemine jusque dans les gouvernements. À preuve : la Commission sur la mesure des performances économiques et du progrès social, présidée par Joseph Stiglitz, récipiendaire du prix Nobel d’économie, voyait le jour en 2008 à la demande du gouvernement français. La Commission Stiglitz devait notamment « déterminer les limites du PIB en tant qu’indicateur des performances économiques et du progrès social ». Au Québec, le collectif du site Économie autrement propose un débat sur les alternatives économiques, notamment en réaction à « la mise en scène » du comité consultatif de M. Bachand. Dans toute sa diversité, la communauté des économistes inclut donc ceux qui remettent en question le dogme de la croissance économique. Même qu’il s’en trouve pour questionner les hypothèses de base de l’économie néoclassique, dont celle de la poursuite de l’intérêt personnel : Amartya Sen, récipiendaire lui aussi du prix Nobel d’économie et conseiller de la Commission Stiglitz, écrivait : « L’homme purement économique est à vrai dire un demeuré social ». Le monde est complexe et la science économique a le mérite de tenter d’embrasser cette complexité. L’objectif de la croissance économique est infiniment trop simple pour guider la formulation des politiques publiques. Si ce n’est que par souci de rigueur, M. Bachand devrait prendre l’habitude de dire « je » ou « nous, le Parti libéral » plutôt que « tous les économistes » et, tant qu’à y être, il devrait se rappeler la Loi sur le développement durable, adoptée par le gouvernement du Québec, qui place le principe d’équité et de solidarité sociales au même niveau que celui d’efficacité économique == Extrait du numéro de juin 2010 du journal l'Infobourg