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En regard des résultats, on peut se demander si le Québec fait tout ce qu’il faut pour favoriser l’accès aux études postsecondaires. S’il est indéniable que le taux de fréquentation a progressé radicalement depuis la Révolution tranquille (on atteint aujourd’hui 28 %), on peut légitimement se demander « qui » va à l’université. Selon une statistique d’un comité consultatif créé pour conseiller le ministère de l’Éducation sur l’accessibilité financière aux études (CCAFÉ), trouvée dans un mémoire de l’ASSÉ, il semble que seulement 19 % des jeunes des classes populaires fréquentent l’université alors que du côté du cinquième le plus riche de la population, on frise le 40 %. Pire, malgré le système de prêts et bourses, le taux de fréquentation stagne pour les jeunes « pauvres » alors qu’il a progressé de 7 % dans toutes les autres catégories depuis 1986. Le gouvernement n’a que très peu de prise sur l’ensemble des facteurs qui font que l’éducation supérieure tend à reproduire les inégalités sociales. Toutefois, comme le rappelle la FEUQ, il a en main un puissant levier : la tarification. « Les frais de scolarité demeurent un des seuls leviers dont le gouvernement dispose pour avoir un impact positif sur l’accessibilité aux études universitaires et ce, de manière directe, contrairement à de nombreux déterminants de l’accessibilité aux études », explique la Fédération. Le ministre des Finances peut bien nier l’évidence, pourtant reconnue par le ministère de l’Éducation, mais les frais de scolarité ont un impact sur la fréquentation scolaire. L’IRIS cite d’ailleurs deux études publiées dans le Journal of Higher Education. L’une affirme que trois jeunes sur dix qui ont abandonné leurs études évoquent le manque d’argent comme raison principale; l’autre établit que chaque augmentation de 1 000 $ des frais se traduit par une baisse de taux de fréquentation de 19 % des classes populaires. Aux États-Unis, pays où les frais sont complètement dérèglementés, le bilan social de l’accessibilité aux études est encore pire. Là-bas, si les deux tiers des jeunes du cinquième le plus riche de la population fréquentent l’université, il n’y a que 14 % des jeunes des classes populaires qui y vont. Qui s’instruit ...s’endette Au Québec, on s’était doté d’un système de prêts et bourses pour remédier à la situation. La noble mission de l’Aide financière aux études est « d’empêcher, par l’attribution d’une aide financière adéquate, que le manque de ressources financières soit un obstacle pour les personnes qui désirent poursuivre des études et qui ont la volonté et la capacité de le faire ». Cependant, un examen le moindrement approfondi du système en place permet de constater qu’il n’est plus adapté à la situation et qu’il produit et reproduit des inégalités. Tout d’abord, la perspective d’une dette assurée – parce qu’il faut d’abord obtenir le maximum de prêts avant de pouvoir toucher une bourse – n’a pas le même impact selon le milieu duquel on provient. Comme le rappelle la FEUQ, « les plus défavorisés d’entre nous sont ceux qui ont le plus de risques de surestimer les coûts des études et de sous-estimer leur rentabilité ». L’ASSÉ critique le régime de prêts et bourses sur plusieurs plans. Tout d’abord, il est difficile d’accès et chaque contre-réforme vient réduire le taux de participation. Aujourd’hui, il est même carrément impossible de changer de programme d’étude en cours de route, et donc de rallonger sa scolarité, puisque la période d’admissibilité à l’aide financière est réduite au strict minimum. L’une des critiques récurrentes du régime est que les notions d’autonomie et de contribution parentale sont complètement irréalistes. Plus de la moitié des étudiants et étudiantes qui n’ont pas droit aux prêts et bourses vit en appartement, mais n’est pas considérée autonome par l’État. La notion de « contribution parentale » est purement théorique. Ainsi, en 2007, une famille nucléaire de deux enfants devait « contribuer » à partir du moment où le revenu combiné des deux parents dépassait la « mirobolante » somme de... 30 735 $. C’est le plus bas montant au Canada; à titre de comparaison, le seuil de la « contribution parentale » dans le programme fédéral est fixé à 70 000 $. Quoi qu’en pense l’État, ce sont en réalité les deux tiers des bénéficiaires de son régime qui n’ont aucune contribution parentale. Comme si ce n’était pas suffisant, le régime public verse des allocations nettement insuffisantes. En 2009, l’Aide financière aux études allouait 740 $ par mois pour les « besoins de base?» des étudiants et étudiantes ne vivant plus chez leurs parents. C’est le montant le plus bas au Canada et il n’est même pas indexé automatiquement. Or, selon le lieu d’étude, les dépenses réelles des étudiants et étudiantes varient plutôt entre 877 $ et 1 120 $ par mois (la Mesure du panier de consommation, la MPC, est à 1 106 $). Cela explique pourquoi la dette privée des bénéficiaires des prêts et bourses est plus élevée que celle des non-bénéficiaires, selon une étude de la CADEUL (Confédération des associations d’étudiants et étudiantes de l’Université Laval), citée par l’ASSÉ. Dans le même ordre d’idée, cela explique aussi pourquoi le taux de participation au régime est en chute libre dans les cégeps, où il est passé de 32 % à 23 % en 15 ans, puisque les jeunes préfèrent travailler qu’ajouter une dette moyenne de 4 555 $ à ce que leur couteront leurs études universitaires. Notons que cette dette est de 8 000 $ dans le cas d’un parcours technique. Au final, près de 70 % des étudiants et étudiantes universitaires doivent s’endetter pendant leurs études : 42 % sont endettés à cause des prêts et bourses du gouvernement, les autres le sont de façon privée (via le crédit notamment). La dette moyenne au sortir d’un baccalauréat est de 11 500 $ (pour le quart des étudiants et étudiantes les moins fortunés, elle monte à 17 000 $). Cela fait dire à la FEUQ que « l’appui public aux étudiants est défaillant; la relève de demain s’endette et les familles ne peuvent pas contribuer dans bien des cas ». L’ASSÉ va encore plus loin : « l’endettement est un mécanisme de reproduction des inégalités sociales puisqu’il transforme un droit en privilège pour certains et en un sacrifice pour d’autres ». À qui profite l’endettement étudiant? Aux institutions financières, pardi! Un plan de remboursement sur dix ans de la dette moyenne à la sortie du bac condamne l’ex-étudiant à rembourser une fois et demie le prêt initialement accordé (sans possibilité de faillite personnelle). Pour l’ASSÉ, « avec le poids des intérêts relié à l’endettement, ce sont ceux et celles qui ont le moins de moyens financiers qui auront payé le plus cher leur passage aux études postsecondaires ». La mobilité sociale se paie très cher dans le modèle québécois!
Photo: Paul-Émile Auger
Références ASSÉ (2009). Mémoire sur l’Aide Financière aux Études. En ligne : www.asse-solidarite.qc.ca Daoud, M. et P. Hurteau (2007). Gratuité scolaire et réinvestissement postsecondaire : trois scénarios d’application. Montréal, Institut de recherche et d’informations socio-économiques, octobre 2007. En ligne : http://www.iris-recherche.qc.ca/publications/gratuite_scolaire_trois_scenarios_d8217application FEUQ (2010). Sources et modes de financement des étudiants de premier cycle. En ligne: www.feuq.qc.ca. Hurteau, P. et E. Martin (2007). Tarification de l’éducation postsecondaire ou gratuité scolaire? L’abolition des frais de scolarité est économiquement viable et plus équitable au plan social. Montréal, Institut de recherche et d’informations socio-économiques, janvier 2007. En ligne : http://www.iris-recherche.qc.ca/publications/tarification_de_lducation_postsecondaire_ou_gratuit_scolaire == Extrait du numéro du printemps 2011 du journal l'Infobourg