Par Mathieu Nicolet

Dessin : Agathe Légaré. D’après une photo de la Presse canadienne

L’an 2020 est mort, vive 2020. Ou pas, c’est selon. Ça n’a peut-être pas été si bien que ça, mais ça l’a été plus longtemps. Près d’une année après la soudaine mise en mode veille de notre mode de vie. Rien n’a vraiment changé : on (re)découvre avec stupeur que la vie n’est pas douce dans certains CHLSD, nous pestons toujours contre les trottoirs mal déneigés et Jean-François Roberge est encore le ministre de l’Éducation ; nous ne sommes donc pas sortis de l’auberge malgré la fer- meture de ces dernières. Les restaurants crient toujours famine, les bars ont soif, les magasins de vêtements se retrouvent à nu. Sombre bilan donc à l’heure où les inégalités se creusent à la manière d’un nid-de-poule extra-large, l’effort de guerre demeure plus présent que jamais.

Soyez cependant rassurés, chers soldats, chères soldates, fifres et sous-fifres, le gouvernement est notre allié — du moins faisons semblant, comme si c’était le cas. Son message toujours clair et concis nous donne un tracé droit à 360 degrés afin d’avancer vers l’arrière sans fuite en avant, tout en mettant à disposition des programmes d’aide affublés de conditions et règlements aussi clairs qu’un manuscrit liturgique en latin ancien. En cas de doute ou de rébellion, vous pouvez compter sur notre Margaret à la main de velours dans un gant de fer pour vous aiguiller sur le chemin de la rectitude et de la docilité. Tout n’est cependant pas noir dans la lueur au bout du tunnel. Il n’y pas de petits profits comme le disent nos personnes aînées emplies de sagesse bienveillante, et ce même en période de décroissance pourtant préconisée par les environnementalistes les plus radicaux, pour ne pas dire lucides. Nous ne risquons plus la mort en traversant la rue St- Jean lors des heures de pointe, nous avons retrouvé le chant des oiseaux au milieu de la faune urbaine du quartier et cette période difficile nous permet de revenir aux plaisirs simples de la vie où tout est devenu soudainement possible. En se remettant dans un contexte pré-pandémique, clouer les avions au sol était illusoire, instaurer un couvre-feu relevait d’un anachronisme guerrier irrévocable et confiner des populations entières, tout en mettant l’économie sur pause se révélait tout bonnement inconcevable dans notre société néo-libérale. Et pourtant... Les rêves les plus fous sont permis, sans pour autant s’endormir sur nos lauriers.

Qu’attendre donc d’une nouvelle année où le mot «variant» est devenu le mot le plus terrifiant du dictionnaire, loin devant « génocide », « apocalypse» et «libéral» ? Elle offre des opportunités qui paraissaient inenvisageables. Si les citoyens et citoyennes du quartier revendiquent des rues partagées, davantage de mobilité douce ainsi que des espaces verts et conviviaux, nos chers décideurs, chères décideuses ne pourront plus servir l’excuse classique du « ça n’est pas possible » sans autre argumentaire bancal. Cette crise sera-t-elle une chance pour que certains dossiers momifiés dans les dédales bureaucratiques de l’hôtel de ville ressuscitent pour le bien commun ? Permettons-nous d’espérer, car cela fait vivre. Entre Houellebecquiens qui affirment que tout redeviendra exactement comme avant et la mouvance complotiste convaincue, preuves à l’appui, que la Chine, la CIA et les Martiens dirigent la planète et que le monde ne sera plus jamais comme avant, la réalité se situera probablement entre les deux. Surtout, ne perdons jamais de vue que chaque chute nous donne l’occa- sion de se relever, à condition que les trottoirs soient bien déneigés...

 

Annus tabarnakis