Par Laurent Lévesque, militant salarié à l’Association pour la défense des droits sociaux Québec métropolitain (ADDSQM)

Débutons par un truisme : la réputation des gouvernements en matière de technologie numérique n’est pas excellente. Au Québec, il suffit d’évoquer la saga de la nouvelle plateforme informatique de la Société d’assurance automobile du Québec (SAAQ), la fameuse SAAQclic, pour s’en convaincre. Ce nom évoque tout de suite des centaines de personnes faisant la file au froid devant des points de service débordés, des fonctionnaires épuisé·e·s, une plateforme défectueuse et les ministres Caire et Guilbault qui se renvoient la balle sur la place publique. Bilan de l’affaire : 41 millions de dollars, selon les dernières estimations. Les exemples ne manquent pas, souvenez-vous que le gouvernement Legault voulait en finir avec l’utilisation du fax dans le système de santé au Québec en 2023. Il a dû renoncer à son échéancier face à la complexité de l’implémentation d’un nouveau système numérique. Au niveau fédéral, le gouvernement Trudeau vient d’abandonner le système informatisé de paie Phénix mis en branle par son prédécesseur, le gouvernement de Stephen Harper. Cette plateforme causa nombre de situations inacceptables en matière de droit du travail pendant que la société multinationale International Business Machines (IBM) partait avec l’argent du contribuable en nous laissant son vilain logiciel. Le gouvernement Trudeau se tournera donc vers une autre multinationale, Dayforce Inc., pour un nouveau logiciel qui, nous promet-on, saura répondre aux besoins des travailleur·se·s qui souhaitent uniquement être payé·e·s à temps, rappelons-le. Selon le diffuseur public, c’est plus de quatre milliards de dollars qui ont été gaspillés dans ce projet dément. Toujours selon Radio-Canada, il ne resterait plus que 418 000 problèmes de paie à régler.

On pourrait penser que ces expériences désastreuses serviraient d’enseignement, mais le ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale (MESS) propose le projet UNIR qui doit bouleverser son organisation du travail grâce aux merveilles du monde numérique. Le système enverra les appels entrants aux agent·e·s d’aide sociale disponibles sur le moment. Il n’y aura plus d’agent·e·s associé·e·s au dossier. Il leur faudra donc prendre des décisions qui peuvent avoir des impacts majeurs en peu de temps. Cela veut dire qu’iels n’auront pas le temps nécessaire pour prendre connaissance de la situation des personnes assistées sociales. Pour les personnes prestataires, il faudra se résigner à réexpliquer sa situation à chaque appel. Nul besoin de rappeler qu’on est souvent à l’aide sociale à cause de situations difficiles et ce n’est pas le genre de choses qu’on veut répéter sans arrêt dans un système sans compassion, sans parler du risque d’erreur élevé de ce genre d’approche. Ces décisions sont très lourdes de conséquences. On parle de notre admission au programme d’aide sociale, de la reconnaissance de contraintes sévères à l’emploi, d’imposition de dettes aux prestataires qui font de supposées fausses déclarations. Face à ce projet, qui devrait être mis en place dès l’automne prochain, on assiste à une levée de boucliers des employé·e·s de l’État autour de leur syndicat (SFPQ), des groupes de défenses des droits des personnes assistées sociales, des groupes luttant contre la pauvreté et des groupes de défense des droits des personnes peu alphabétisées. Ils réclament la mise sur pause du projet, sinon son abandon. On conseille à la ministre responsable de la Solidarité sociale et de l’Action communautaire, Chantal Rouleau, d’adopter une approche basée sur l’accompagnement des personnes assistées sociales et de reconnaître le rôle de ses employé·e·s, en plus de bonifier leur expertise dans la réalisation de cette tâche. Il s’agit encore une fois d’un exemple de désengagement de l’État dans sa mission d’informer les citoyen·ne·s de leurs droits. On peut voir des phénomènes similaires au Tribunal administratif du logement (anciennement Régie du logement) où les temps d’attente pour parler à un·e préposé·e sont déments. Nous pouvons nous attendre à un nombre plus important d’appels dans les groupes communautaires qui informent les personnes assistées sociales sur le droit face à cette fermeture de la part du ministère. Nous pouvons aussi nous attendre aux mêmes genres de dérives qu’avec SAAQclic et le système de paie Phénix, sauf que cette fois-ci, ce sera l’une des classes les plus pauvres de nos concitoyen·ne·s qui sera touchée.

Cauchemar numérique au Ministère de l'emploi et de la solidarité sociale