Par Gabrielle Verret

Alors que la crise du logement s’aggrave au profit du marché privé de l’habitation, la ministre de l’Habitation France-Élaine Duranceau a accumulé de vives critiques, que ce soit pour son attitude de mépris envers les locataires, pour sa non-connaissance des différentes réalités des ménages locataires au Québec ou pour ses citations qui nous laissent croire qu’elle travaille à servir les intérêts d’une classe privilégiée. Finalement, nous la connaissons également pour son projet de loi 31, une loi qui a été adoptée avec très peu de modifications malgré la mobilisation des comités logement partout à travers le Québec. Un projet de loi qui, on le rappelle, vient notamment apporter des modifications à la cession de bail, à la clause G et à la clause F. Le 22 mai, la ministre est venue déposer le projet de loi 65, soit la Loi limitant le droit d’éviction des locateurs et renforçant la protection des locataires aînés, adopté à l’unanimité le 6 juin dernier.

 

Quelques effets du projet de loi 65

Tout d’abord, cette nouvelle loi vient interdire toute éviction pour les trois prochaines années compte tenu le contexte de la crise du logement finalement reconnu par la CAQ, à certaines exceptions près qui seront nommées plus bas. Entre 2022 et 2023, les évictions ont augmenté de 132 %, soit la plus forte hausse jamais compilée, selon le Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ). Au Québec, trois motifs justifient cette privation du droit de maintien dans les lieux, soit pour l’agrandissement de l’appartement, la subdivision de celui-ci ou le changement d’affectation de l’immeuble. La loi vient aussi élargir les conditions pour être admissible à la loi Françoise David. En premier lieu, elle propose la protection des aîné·e·s loctaires contre les évictions et les reprises à partir de 65 ans, soit cinq ans plus tôt qu’auparavant. En deuxième lieu, la loi vient protéger une plus grande partie des aîné·e·s en venant hausser de 25 % le seuil de revenu maximum annuel. Cela fait en sorte que les personnes qui ont un revenu équivalent à 125 % ou moins du montant permettant d’être admissible à un logement social, variant selon les régions, peuvent également être protégées par la loi.

 

Du chemin est encore à faire pour la protection des personnes aînées

Par contre, cette nouvelle loi a certaines limites. Elle exclut notamment les locataires habitant en résidence privée pour aîné·e·s (RPA), alors que ces personnes sont particulièrement vulnérables. Aussi, elles ont choisi ce milieu de vie pour des services offerts, qui pourront leur être retirés autant qu’avant si un changement d’affectation survient. Prenons l’exemple de la résidence la Seigneurie de Salaberry, dans le quartier Saint-Jean-Baptiste. Cette résidence a été achetée en septembre 2022 par un propriétaire du nom d’Henry Zavriyev, reconnu comme un requin de l’immobilier. Ce dernier a procédé à un changement d’affectation de la RPA, ce qui a affecté près d’une centaine de personnes aînées qui bénéficiaient de services cruciaux et qui ont, pour la plupart, un attachement à leur milieu de vie et leur quartier. Henry Zavriyev est également l’acheteur des résidences Château Beaurivage et Mont-Carmel, dont le changement de statut a été empêché par les mobilisations des résident·e·s et les tribunaux. Néanmoins, selon un décompte réalisé par La Presse, près de 80 RPA au Québec ont fermé leurs portes en 2023, privant environ 2 700 aîné·e·s de services cruciaux et les forçant, dans beaucoup de cas, à quitter leur milieu de vie.

 

Éléments remis en question

Outre le fait que la protection des personnes aînées n’est absolument pas assurée, il est aberrant de constater que le moratoire sur l’interdiction d’éviction pour les trois prochaines années peut être levé dans certaines régions, sans justification. Un autre élément pourrait permettre la fin du moratoire : si le taux d’inoccupation de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) atteignait plus de 3 %. Évidemment, certains éléments de cette nouvelle loi ont été appuyés par les comités logement et leurs regroupements, mais la crise du logement ne pourra pas se régler seulement avec cette loi. Plusieurs revendications restent à être entendues. Le RCLAQ demande notamment d’étendre le moratoire sur les reprises de logement et sur les personnes logées dans des RPA. Plus encore, le regroupement demande que ce moratoire empêchant les évictions demeure permanent et que le gouvernement ne puisse pas le suspendre à sa guise sans justification.

 

La clé, c’est le logement social

Pour le Comité populaire Saint-Jean-Baptiste, il est clair que ces mesures temporaires ne permettent pas de changements structurels. Tant que le marché privé aura une place prioritaire dans le parc de logement locatif, des ménages à faible ou modeste revenu ne pourront pas se loger convenablement et devront choisir entre se loger et se nourrir. À l’échelle du Québec, c’est 90 % du parc locatif qui est privé. Pour s’attaquer à cette question, le Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU) demande à Québec de se doter d’un objectif de construction de logement social clair et chiffré. Pour le FRAPRU et ses membres, il faut que d’ici 15 ans, le parc de logements sociaux soit doublé pour que sa proportion atteigne 20 % dans le parc de logement locatif, afin de permettre aux locataires d’avoir le choix et de faire face à la crise actuelle.

Des mesures temporaires pour sortir de la crise du logement?