Par Gabrielle Verret

Dans le cadre d’une action sur la qualité de l’air organisée conjointement par le Regroupement d’éducation populaire en action communautaire des régions de Québec et Chaudière-Appalaches (RÉPAC03-12) et le Regroupement d’éducation populaire de l’Abitibi-Témiscamingue (REPAT), des manifestant·e·s étaient présent·e·s dans le secteur du port de Québec pour sensibiliser la population et interpeller les gouvernements quant aux impacts de la mauvaise qualité de l’air sur la santé des communautés, particulièrement celles qui sont les plus vulnérables.

Environ 900 km au nord-ouest, à Rouyn-Noranda, ce sont les citoyen·ne·s du quartier Notre-Dame qui sont touché·e·s par la présence de polluants, tels l’arsenic, le plomb et le cadmium, dans l’air, l’eau et le sol.

Une multinationale controversée

La pierre angulaire de ce désastre écologique et sanitaire : Glencore Canada, qui possède des installations au port de Québec, à Rouyn-Noranda et au Nunavik. Il s’agit d’une société filiale de Glencore PLC, une entreprise anglo-suisse d’extraction de matières premières impliquée dans plusieurs secteurs comme l’industrie métallurgique, agroalimentaire, automobile, pétrolière et énergétique. Installée sur tous les continents, cette multinationale voit les controverses s’accumuler tant au niveau des droits de la personne que des désastres qu’elle cause à l’environnement. Ajoutons aux controverses qu’en 2021, cinq des sept installations de l’entreprise présentes au Québec se retrouvent dans la liste des 100 plus gros pollueurs de la province, selon les données du ministère de l’Environnement.

L’air de Limoilou, parmi les pires de la province

Plusieurs sources de pollution expliquent la mauvaise qualité de l’air à Limoilou, en Basse-Ville, mais aussi dans l’ensemble de la région. On retrouve notamment les polluants induits par le port, l’incinérateur, les usines comme White Birch, la fumée des poêles à bois et les autoroutes.

Lorsqu’on parle des polluants atmosphériques liés aux activités portuaires à Québec, Glencore apparaît comme le grand gagnant, car il est le seul à transborder du nickel à cet endroit. Au printemps 2022, malgré la vive contestation de 18 directions régionales de santé publique, de l’opposition officielle tant au niveau provincial que municipal et d’une bonne partie de la population, la CAQ est allée de l’avant avec l’augmentation de la norme du seuil de nickel dans l’air du Québec, la faisant passer quotidiennement de 14 ng/m3 à 70 ng/m3.

Même une fois quintuplée, la norme a encore été dépassée, et ce, à au moins trois reprises entre décembre 2022 et janvier 2024. À chaque dépassement, on retrouvait un navire de charge de Glencore dans le port… S’agit-il d’une coïncidence ? Rappelons que la norme de nickel dans l’air recommandée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) est de 3 ng/m3, soit 23 fois inférieure à celle du Québec.

Selon Santé Canada, les particules fines causeraient annuellement 269 décès prématurés, 731 épisodes de bronchite chez les enfants et 543 000 journées de symptômes respiratoires aigus chez la population de Capitale-Nationale, au coût de plus de 2 milliards de dollars de fonds publics (2021) *.

Une question de justice sociale et environnementale

Les inégalités sociales et économiques sont intrinsèquement liées à la crise environnementale, ce pour quoi nous parlons de justice climatique et sociale, un principe qui s’applique autant dans nos quartiers qu’à l’échelle planétaire. Les personnes les plus précarisées sous divers aspects sont aussi celles les plus touchées par la crise climatique, alors qu’elles y contribuent le moins. En 2019, OXFAM révélait que le 1 % des personnes les plus riches émettaient autant d’émission de dioxyde de carbone (CO2) que les 5 milliards les plus pauvres.

À Québec, pour la période de 2012-2016, les résident·e·s de la Basse-Ville vivaient en moyenne 8,2 années de moins que les personnes résidant en Haute-Ville, selon les données du CIUSS de Capitale-Nationale. C’est énorme ! Évidemment, seule la qualité de l’air n’explique pas l’ensemble de ce phénomène, mais elle est inévitablement un élément à considérer.

Alors que les résident·e·s du quartier Limoilou respirent l’un des airs avec le plus de particules fines au Québec, ils et elles font également partie des ménages qui ont le revenu médian le plus faible des quartiers de Capitale-Nationale**. Selon Statistique Canada, le revenu médian des ménages dans Limoilou-Vanier est 34 % plus bas que celui des ménages de l’ensemble de la région (2011). Ainsi, les quartiers de la ville de Québec où le revenu des ménages est le plus bas, sont aussi ceux qui enregistrent une pollution plus grande de leur air, avec les conséquences qui en découlent. Idem à Rouyn-Noranda.

À Rouyn-Noranda, qu’en est-il ?

Le quartier Notre-Dame, situé à proximité de la Fonderie Horne et détenu par Glencore Canada, servait autrefois à accueillir les travailleur·se·s de la Mine Noranda. Via le site web de la fonderie, Glencore vante ses réalisations. On peut y lire : « plus grand producteur de cuivre et de métaux précieux en Amérique du Nord ». Or, la Fonderie est aussi le 41e plus gros pollueur au Québec et responsable de la délocalisation de près de 200 personnes dû à ses émissions de métaux lourds. Celles-ci dépassent largement les normes québécoises et représentent un réel danger pour la santé.

Du plomb, de l’arsenic et du cadmium se retrouvent dans l’air, l’eau et les sols du quartier de Notre-Dame. Évidemment, les effets secondaires de ces métaux ne sont plus à prouver : problèmes cardiovasculaires, cancers du poumon, effets sur le développement du cerveau, pour n’en nommer que quelques-uns. En 2018 et 2019, des études de biosurveillance ont été menées par la Direction de la santé publique de l’Abitibi-Témiscamingue. Les résident·e·s, notamment les enfants du quartier Notre-Dame, étaient quatre fois plus imprégné·e·s par l’arsenic que les personnes résidant à Amos.

Le profit avant tout

Benoit Charette, l’un des principaux interlocuteurs actuels dans le dossier de Glencore, autant à Québec qu’à Rouyn-Noranda, est le ministre de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs. Il m’est apparu nécessaire de le rappeler, car, à première vue, il pourrait nous sembler que lui-même l’oublie quelques fois.

Il ne cache pas les intérêts financiers derrière de telles décisions gouvernementales : il faut électrifier les transports et donc exploiter le nickel pour régler la crise climatique et on doit conserver des entreprises comme Glencore, dans nos villes, pour le développement économique de celles-ci.

Dans le cas de la hausse du seuil de nickel mentionné précédemment, Benoit Charette a réitéré qu’il était impossible d’électrifier les transports sans alléger la norme de métal lourd dans l’air. Évidemment, développer la filière batterie au détriment de la qualité de l’air, des milieux humides et de la faune apparaît comme une solution simpliste à la crise climatique actuelle. « Si on veut des batteries, il faut du nickel », nous dit Benoit Charette. Alors que faisons-nous si nous voulons une qualité de l’air réellement saine pour notre santé, monsieur le ministre ?

Dans le cas de l’Abitibi, avant l’année 2023, seul l’arsenic était soumis à une norme de 100 ng/m⁠3, alors que la norme québécoise est de 3 ng/m⁠3. Les autres métaux lourds, pour la région seulement, n’étaient, quant à eux, soumis à aucune contrainte. La CAQ a donc donné quatre ans à la Fonderie Horne pour se conformer à de nouvelles normes notamment de 15 ng/m⁠3 pour l’arsenic, qui est encore trois fois supérieure à la norme québécoise. Selon le ministre, il serait « techniquement impossible pour la fonderie d’atteindre la norme québécoise d’émissions d’arsenic pour le moment ». Il apparaît donc logique de déraciner des familles au lieu d’imposer des règlements stricts, punitifs et restreints dans le temps.

Ce manque d’ambition et de volonté politique cause des dommages permanents sur la santé de résident·e·s et des générations futures de plusieurs quartiers au Québec, et plus largement sur la faune et la flore, c’est pourquoi il est plus qu’essentiel d’imposer un changement de cap aux élites politiques et économiques, et ce, immédiatement.

Sources :

* Gouvernement du Québec, Portrait des particules en suspension et des métaux dans l’air des quartiers Limoilou, Vanier et Basse-Ville, Québec, gouvernement du Québec/Direction de santé publique, https://www.ciusss-capitalenationale.gouv.qc.ca/sites/d8/files/docs/Sant... (mars 2023).

** Gouvernement du Québec, Les inégalités sociales de santé dans Basse-Ville et Limoilou-Vanier, , Québec, gouvernement du Québec/Direction de santé publique, https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/3443625 (mars 2018).

*** Gouvernement du Québec, Contamination atmosphérique dans l’arrondissement La Cité-Limoilou. La question du nickel, Québec, gouvernement du Québec, https://iaac-aeic.gc.ca/050/documents/p80107/116746F.pdf (avril 2013).

Glencore Canada, fléau pour l'environnement