Par Fabien Abitbol

Entre le 6 et le 9 juin, les 27 pays membres de l’Union européenne élisaient leurs 720 représentant·e·s au Parlement européen. On s’attendait à une énorme poussée de l’extrême droite dans huit pays, à une poussée moyenne dans huit autres, mais ça n’a pas tout à fait été cela. Et le président français a déclenché l’arme ultime : la dissolution de l’Assemblée nationale.

Jusqu’à présent, le principal parti européen était à droite, mais ne pouvait pas gouverner seul sans l’appui des parlementaires européens de la gauche modérée. Depuis les élections de juin 2024, c’est pareil. Les deux groupes d’extrême droite ont gagné des sièges surtout grâce à cinq pays, mais les équilibres restent globalement les mêmes.

Les élections se déroulent tous les cinq ans. La fois précédente était en 2019, les Britanniques avaient voté. Les sièges britanniques ont été attribués aux autres pays dès le Brexit en place. Les pays doivent choisir leur façon d’organiser les élections, mais respectent tous la même semaine et les premiers ne divulguent pas les résultats. La France est revenue, depuis 2019, au système qu’elle avait adopté en 1979 : scrutin proportionnel. Mais il y a eu plusieurs élections où la France était coupée en morceaux, jusqu’à 2014 inclusivement (l’Italie est toujours coupée en cinq morceaux).

C’est en France que la situation est la plus ubuesque : une heure après les premières estimations, le dimanche 9 juin au soir, le président Macron a décidé de dissoudre l’Assemblée nationale. C’est la sixième dissolution de l’histoire de la Ve République : de Gaulle en 1962 et 1968, Mitterrand en 1981 et 1988, Chirac en 1997, Macron en 2024.

En cas de dissolution, les élections doivent débuter entre le 20e et le 40e jour après la décision. Le président Macron a choisi au plus court : le scrutin aura lieu les 30 juin et 7 juillet, les 29 juin et 6 juillet pour les morceaux de France entre la Polynésie et Saint-Pierre-et-Miquelon ainsi que pour les deux députés des Français du Canada, des États-Unis, du Mexique, des Caraïbes et de l’Amérique du Sud. En choisissant de dissoudre maintenant plutôt qu’en septembre et en prenant le délai le plus court pour ne pas interférer sur la fête nationale du 14 juillet et les Jeux olympiques qui débuteront le 26 juillet, le président Macron fait un coup de poker. Un coup risqué, car le jeudi 13 juin les sondages donnaient en tête l’extrême droite (31 %), puis l’union des gauches (28 %), et des trois partis favorables à Macron (18 %). Quelques jours plus tard, un autre sondage donnait 33 % à l’extrêmedroite, sans changer les estimations de la gauche ni des partis macronistes.

La France, qui sort d’un cycle de deux ans pendant lesquels les trois partis favorables à Emmanuel Macron n’avaient qu’une majorité relative (250 député·e·s pour 577 sièges), devrait tout logiquement se retrouver à nouveau avec une majorité relative, difficile à gouverner paisiblement. Mais le président ne peut dissoudre l’Assemblée nationale qu’une fois par an, et sera donc pris sur sa droite ou sur sa gauche pendant un moment.

Avec des délais si serrés, les noms des candidat·e·s et la propagande électorale devaient avoir été remis au plus tard le mardi 18 juin à 18 h, alors que la campagne commençait la veille.

Ces élections imprévues ne sont pas un casse-tête que pour les imprimeurs. Les maires aussi sont débordés, car ils ne s’attendaient pas à avoir besoin de personnel aux vacances scolaires et des salles de fêtes avaient déjà été louées pour des fêtes de famille ou des mariages. Mais les maires ont l’obligation d’organiser les élections.

Avec l’appel au ralliement des gauches lancé dès le 9 juin au soir, les quatre plus grands partis se sont mis d’accord sur les grandes lignes ainsi que sur une répartition de candidatures uniques. Des circonscriptions ont été volontairement non pourvues afin que les instances locales décident qui présenter. Puis quatre autres partis de gauche, plus petits, ont signé cette alliance de Front populaire. Cela va évidemment provoquer des candidatures dissidentes.

Le président du parti Les Républicains, parti de droite au pouvoir jusqu’en 2012, est allé négocier auprès du Rassemblement national (ancien Front national), principal parti d’extrême droite. Marion Maréchal-Le Pen, petite-fille de JeanMarie Le Pen et nièce de Marine Le Pen, tête de liste aux européennes de Reconquête (parti de Éric Zemmour dont elle était la vice-présidente) en a fait de même. Elle avait été élue députée en 2012, devenant la benjamine de l’Assemblée nationale, puis avait fait une pause de la vie politique. 

Dans l’absurde, c’est sur un plateau télé qu’Éric Zemmour a annoncé le 12 juin qu’il se séparait de Marion Maréchal-Le Pen, sa vice-présidente, sans autre forme de procès. Quant à Éric Ciotti, le président des Républicains qui a voulu aller à la gamelle du Rassemblement national, il s’est rendu au siège de « son » parti, a demandé aux permanents de sortir, et s’est barricadé. Mais une vice-présidente prudente est parvenue à ouvrir la porte grâce à un trousseau de clefs qu’elle gardait avec elle. Le 12 juin, il était exclu de son parti sauf qu’il semble y avoir un problème dans les statuts du parti.

L’union « des droites », qu’Éric Zemmour voulait tant depuis longtemps se fait finalement à la va-vite grâce à une décision prise par le président Macron. Les législatives françaises se jouant en deux tours, il n’est pas impossible que l’ouverture des Jeux olympiques de 2024 se tienne avec un gouvernement d’extrême droite, selon les estimations à l’heure où ces lignes sont écrites.

Le présent texte a été écrit avant le début de la campagne officielle française, qui débutait le 17 juin. À la sortie de cette édition de l’Infobourg, vous aurez les résultats des élections françaises par la presse traditionnelle, car le second tour est le 7 juillet.

Les élections européennes provoquent un séisme politique en France