Par Alex Saulnier

Photo: RCLALQ

Le 12 août dernier, la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ) se targuait d’avoir accompli « un exploit » en faisant reconnaître par le Tribunal administratif du logement* (TAL) la légalité du dépôt de garantie, ce qui a fait sursauter (et avec raison!) les organismes de défense des droits des locataires. Effectivement, le dépôt de garantie demeure une pratique illégale !

Qu’est-ce qu’un dépôt de garantie?

Un dépôt de garantie est une somme versée par la personne locataire à un propriétaire, à la demande de ce dernier, lors de la signature d’un bail. Dans la pratique courante, le propriétaire demande au locataire de lui « avancer un mois » lors du premier paiement du loyer. À titre d’exemple, un ou une locataire qui loue un logement au coût de 856$ par mois (coût du loyer moyen d’un 3 et demi pour la Haute- Ville de Québec) devrait débourser un montant de 1 712 $ le premier mois de sa location, montant que le propriétaire conservera jusqu’à la fin du bail. Les raisons principales qui sont invoquées par les propriétaires pour exiger un dépôt de garantie sont, notamment, le risque de non-paiement de loyer par le locataire ou le mauvais état dans lequel un locataire serait susceptible de remettre le logement au propriétaire.

La CORPIQ mésinterprète un jugement du tribunal et sème le flou

Pour affirmer que le dépôt de garantie est maintenant devenu légal, la CORPIQ s’appuie sur un jugement rendu en février 2020 par le TAL. Dans ce jugement, le juge administratif Robin-Martial Guay tranche qu’un locataire « dispose du droit de renoncer à l’interdiction [du dépôt de garantie] » prévu à l’article 1904 du Code civil du Québec. En d’autres termes, le juge Guay réaffirme un droit déjà connu, soit que le locataire a le droit de renoncer à la protection offerte par la loi et qu’il peut, en ce sens, verser un dépôt de garantie au propriétaire.

Cependant, le jour-même où la CORPIQ dévoilait son communiqué pour annoncer la légalité d’un dépôt de

garantie, le TAL publiait une nouvelle afin de rétablir les faits rapportés dans les médias. Le TAL souligne que le dépôt de garantie est valide s’il est versé « librement et volontairement », et que « les circonstances [dans lesquelles le dépôt est fait] ne permettent pas de conclure à une certaine forme d’exigence de la part du locateur ou à une crainte du locataire de ne pouvoir louer le logement à défaut de verser le dépôt**». Ainsi, le dépôt de garantie n’est valide que sous ces conditions. Autrement, il demeure une pratique illégale en vertu de la loi.

Une atteinte aux droits des locataires

Les organismes de défense des droits des locataires sont intervenus dans les médias afin de dénoncer le « détournement » et l’« extrapolation » que la CORPIQ faisait du jugement. La sortie médiatique de la CORPIQ, que l’on peut qualifier d’irresponsable compte tenu des conséquences légales qu’elle implique, a sans aucun doute créé un flou en ce qui a trait aux droits des locataires. De plus, malgré la rectification du TAL dans les médias au sujet du dépôt de garantie le 12 août 2020, la CORPIQ réaffirmait son caractère légal dans un article du 22 septembre 2020 publié sur son site Internet ; de quoi rajouter à l’incompréhension!

Si le dépôt de garantie est critiqué par les associations de défense du droit au logement, c’est que cette pratique brime le droit d’accès au logement pour les personnes qui n’ont pas les moyens économiques d’assurer cette charge financière. Si cette pratique devient de plus en plus courante – notamment parce qu’elle est encouragée par la CORPIQ –, il va sans dire que c’est à un sérieux problème d’accès au logement auquel nous devrons faire face, puisque rares sont les ménages à faible revenu qui ont le privilège de débloquer des centaines de dollars pour l’avancement d’un loyer.

Aussi, on ne peut passer sous silence le « faux consentement » que requiert un dépôt de garantie. La relation entre le propriétaire et le locataire en est d’abord une de pouvoir, alors comment s’assurer que le dépôt de garantie est versé « librement et volontairement ? » Par peur de se faire refuser un logement, ou par méconnaissance de leurs droits, nombre de locataires se verront contraints de remettre un dépôt de garantie à leur propriétaire, ce qui va à l’encontre du consentement libre et éclairé.

Finalement, il est aussi important de souligner qu’aucune loi n’encadre la remise du dépôt de garantie au locataire. Ainsi, le propriétaire dispose d’un pouvoir discrétionnaire quant au délai de la remise, et peut juger selon ses propres critères de l’état des lieux du logement lorsque le locataire quitte le logement. En effet, à partir de quels critères un logement est-il considéré comme endommagé ? Ce manque d’encadrement légal offre aux propriétaires la possibilité de se faire justice à eux-mêmes en évitant de remettre l’argent après le départ des locataires.

Si vous avez payé un dépôt de garantie parce que vous ne connaissiez pas vos droits à ce moment, sachez que vous pouvez demander un remboursement à votre propriétaire. S’il refuse votre demande, plusieurs recours sont possibles. N’hésitez pas à contacter le Comité populaire Saint-Jean- Baptiste pour obtenir de l’aide (www.compop.net).

*Anciennement la Régie du logement.
** À lire sur cette page : https://www.quebec.ca/nouvelles/actualites/details/exiger-un-depot-de-ga...

 

Le dépôt de garantie : une pratique toujours illégale