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Dessin: Kaël Mercader
Poésie pour Marc
Par Yvon Boisclair
Marc 1
Un bout de ciel bleu
Un rayon d’énergie
Un vent d’espoir
Marc 2
Il a promené son béret par toute la ville
Il a écrit, parlé, dessiné
Sur son chemin a semé des sourires
Sur son chemin a semé des sourires
Merci pour tout Marc
Par Marie-Ève Duchesne
C’est le 30 octobre dernier, Marc, que la vie a décidé que la tienne s’arrêtait brusquement. Comme ça, sans prévenir. Pour le Comité populaire Saint-Jean-Baptiste, comme pour tes proches, ton départ a créé une onde de choc.
Tu militais avec nous depuis si longtemps, partageant tes idées, concrétisant visuellement les projets. Tes croquis et tes dessins font partie intégrante de notre travail pour un quartier qui nous ressemble. Ta cohérence au sein du comité d’aménagement urbain nous ramenait souvent à des préoccupations citoyennes bien présentes dans le quartier: tu savais être attentif aux enjeux soulevés par les personnes que tu croisais sur ton chemin. Et tu savais t’en faire le porteur, ramenant constamment l’importance des luttes à poursuivre, que ce soit pour l’îlôt Saint-Vincent-de-Paul ou pour redonner la place dans les rues aux résidents et résidentes du quartier.
Comment te dire merci Marc ? Comment rendre hommage à ton travail acharné ? Comment accoter ta conviction et ta passion pour le faubourg ? Comment rendre visibles les traces que tu as a laissées un peu partout autour de toi? Les mots ne sont parfois pas assez grands pour faire l’état des réalisations de l’ensemble d’une vie. Pour décrire l’ensemble de ta contribution, les mots nous manquent.
Il n’en tient qu’à nous maintenant de poursuivre ton œuvre, bien humblement. De continuer à raviver la flamme de l’indignation contre les promoteurs (quand tu prononçais ce mot, on sentait toute ta haine pour ceux qui s’accaparent nos quartiers). De poursuivre les mobilisations pour un aménagement citoyen de l’îlot Saint-Vincent-de-Paul, en tout respect de la trame urbaine du faubourg. De toujours crier haut et fort, comme tu l’écrivais si bien sur une pancarte le 9 octobre dernier, que la rue est à nous! De prendre le temps de construire un rapport de force, en passant un tract à la fois, en posant une affiche à la fois, en écoutant une personne à la fois. De ne jamais faire confiance trop vite, mais en ne perdant jamais espoir.
Merci Marc. Mille fois merci. Tu auras su marquer l’histoire du Comité populaire Saint- Jean-Baptiste. Et ce qu’il y a de bien avec l’histoire collective d’un groupe populaire, c’est qu’elle ne se termine pas avec nous. Elle se transforme au fil du temps, à partir des racines qui assurent une base solide, un fil conducteur. Et ça, des racines, tu en auras planté plus d’une. Nous tenterons au mieux de les faire vivre encore longtemps.
Lettre à un ami
Par Zoé
Photo prise à Métis en 2017.
Mon cher Marc,
Élégant, fidèle et doux compagnon,
Me voilà orpheline de cœur sans toi, comme beaucoup d’autres !
Je veux ajouter mon petit grain de sel à tous les hommages que tu as reçus, puisqu’il me semble que ta belle personne et ton œuvre méritent tout ce que l’on peut en témoigner. Je voudrais être un ménestrel pour te chanter... Mais je n’ai pas ce talent et, modeste comme tu es, tu n’aimerais pas ça !
À toi donc, être intègre et cohérent, qui nous a tant nourri d’imaginaires aux fondements historiques et géographiques par tes dessins délicats. Qui as valorisé l’importance du territoire et de ses réseaux organiques mixtes sur toute forme de vie, en cette ère dématérialisée. Qui montrais le lien indéniable entre l’urbanité et la justice sociale. Toi qui disais qu’idéal ne veut pas dire irréel... Qui nous a fait rêver ensemble les mêmes rêves. Les rêves : des germes de création qui nous préparent à un monde qui nous ressemble... À toi, qui a porté et promu infailliblement des valeurs de partage, de liberté, d’égalité et d’inclusion. Pour une démocratie directe et pour enfin dépasser le capitalisme, de la base populaire vers de très hautes sphères! À ton beau cœur généreux et libre dans l’engagement. À ton sens critique, toujours renouvelé et jamais récupéré. À toi qui embarquais dans les aventures avec curiosité, humour et ouverture, sans découragement, sans angoisse. À Québec, ta ville-poème, pour qui tu as délaissé tant d’avantages afin de lui demeurer dévoué et fidèle, tout comme à ses citoyennes et citoyens. À toi cher persévérant, qui as défendu et protégé comme un père-poule le bien commun en priorité. Toi pour qui la lutte n’était jamais contre des gens, mais des idées... Pour qui tout un chacun demeurait cher, ou chère. À ton esprit rationnel et savant, qui ne manquait pas de sensibilité pour autant, ni de tendresse...
Marc, il me semble que cette tendresse aura été le moteur de toutes tes actions, puisque tu songeais profondément à nous «ensemble» de manière bienveillante. Tu aurais vou- lu que toutes et tous puissent s’unir d’un élan collectif pour se bâtir ce monde durable, riche, équilibré, cultivé et juste... Pour enfin nous sortir de la logique productivité-perfor- mance-conquête vers une logique humaniste, durable, artistique... et amoureuse.
Mon souhait aujourd’hui, pour toi très cher, et pour nous aussi: puissions-nous être unis, solidaires en toutes circonstances et en tout temps, au-delà des nécessaires affrontements. Puissions-nous nous rencontrer, nous respecter.
Pour toi, qui étais si adorable, je lève mon chapeau et m’incline bien bas. Je t’aime et t’admire de tout mon cœur, pour toujours.
Marc ou la contestation permanente
Par Nicolas Lefebvre Legault
Je l’avais perdu de vue depuis quelques années, ne le croisant plus qu’au hasard de nos déambulations respectives dans la ville. Mon départ de la permanence du Compop, puis du quartier, expliquent en partie cela mais aussi, inutile de le cacher, une série de désaccords tactiques et stratégiques au fil des ans. Quel choc quand même que d’apprendre son décès subit. Je ne saurais dire en quelques mots l’importance que Marc Boutin a eu pour moi et la place qu’il occupe dans mon cheminement social et politique.
Ma route a croisé celle de Marc pour la première fois en août 1996, lors d’une manifestation en marge de l’inauguration du Centre des congrès. Mais c’est vraiment à l’Upop que je l’ai découvert. Comme, d’ailleurs, toute une galerie de personnages hauts en couleurs qui formaient collectivement ce que nous appelions, affectueusement, « la ligue du vieux poêle» du Compop.
Marc était déjà un vétéran, mémoire vivante des luttes urbaines. Pour le jeune anarchiste de vingt ans fraichement débarqué de Montréal que j’étais, c’était fascinant. C’était un formidable conteur mais aussi un brillant vulgarisateur et un grand pédagogue. Il travaillait à l’époque sur sa «théorie de la forme urbaine» qui tentait d’expliquer le changement social par un urbanisme mâtiné de marxisme.
Ce qui était fascinant pour moi c’est qu’il ne se contentait pas de penser le changement social, de réfléchir à la cité. Il avait les deux mains dedans et militait activement, ne trouvant aucune besogne militante indigne de lui. On connait sa contribution aux luttes via les dessins et les textes, sa participation aux conférences de presse et aux conférences tout court. Mais il pouvait aussi bien construire un module de jeu dans un parc, faire signer une pétition aux quidams sur la rue ou faire du porte-à-porte dans le quartier. On pouvait toujours compter sur lui.
Marc et Nicolas, lors d’une manifestation sur la rue D’Aiguillon pour la campagne du Compop « Wô les moteurs » en 2007. Photo : Luc-Antoine Couturier
Marc Boutin incarne, plus que tous les profs d’université qui pondent un bouquin par année – et qu’il respectait par ailleurs, il fallait l’entendre parler de François Ulbert –, la figure de l’intellectuel organique dont parlait Gramsci. «Les philosophes n’ont fait qu’interpréter diversement le monde, ce qui importe, c’est de le transformer» comme dirait l’autre. Marc Boutin, c’est un peu, beaucoup, ça.
S’il y a une chose que Marc Boutin m’a apprise, c’est la patience. La sienne frôlait parfois l’obstination. Pour lui, une lutte n’était presque jamais totalement perdue. Il savait que les luttes urbaines se mènent sur le temps long. Il imaginait ça comme une sorte de guerre de position. Il pouvait revenir sur les mêmes dossiers année après année, décennie après décennie (pensons à l’îlot Berthelot ou au Patro). Pour le quartier, ce fut payant je crois. Le faubourg lui doit d’ailleurs beaucoup.
Marc Boutin était un libre penseur, férocement indépendant, à la pensée éclectique et gé- néreuse (peut-être trop éclectique, d’ailleurs, pour le militant politique que j’étais). C’était un homme de convictions, fidèle à ses principes et à son instinct, mais capable d’envoyer valser des organisations où il s’était investi pendant plusieurs décennies de sa vie s’il ju- geait qu’elles erraient. Marc Boutin, c’était la contestation permanente, y compris chez les contestataires (j’en sais quelque chose !).
Salut camarade... et merci pour tout.
Marc Boutin, l'utopiste réaliste
Par Hélène Matte
Issu d’une famille irlandaise du centre-ville, le poète, urbaniste, géographe, peintre et pataphysicien Marc François Provençal Doyle Boutin s’est consacré aux luttes urbaines pendant des lustres. Il m’a dit un jour: « J’y suis né, j’ai vécu plus de vingt ans dans une ville d’une densité démographique à faire rêver et à partir de 1965, j’ai assisté à un massacre, à un exode et à un détournement de sens dont je ne me suis jamais remis ».
Depuis, il s’est battu pour la zone 2 (quartier chinois), l’îlot Berthelot, le Mail et la « Grande Place » dans Saint-Roch, le Patro Saint-Vincent-de-Paul, les îlots Irving ou Esso, le Centre Durocher...
Cette question des luttes urbaines a été déterminante dans ses choix de vie, académiques et professionnels. Il croyait en la capacité des mouvements populaires à mener ces luttes. Marc Boutin était un batailleur à la plume. Ses écrits et ses dessins visaient à alerter l’opinion publique, proposer des alternatives, faire connaître et protéger les droits collectifs.
Il s’acharnait à faire pencher la balance de la justice du côté des citoyens et citoyennes. Il croyait en la possibilité de créer un rapport de force à l’encontre d’un pouvoir municipal trop souvent à la botte des promoteurs.
Cependant, il n’était pas que dans le feu de l’action. Il savait veiller sans brûler la chandelle par les deux bouts. Il savait contempler la beauté et désirait la protéger. Écologie, transport collectif, vie associative, démocratie participative: c’étaient pour lui des valeurs liées à sa vision de l’urbanité.
Les premières fois que j’ai croisé Marc Boutin, c’était dans les années 1990 à l’Université populaire du Compop. Puis je l’ai suivi à travers le journal Droit de Parole dont il était l’un des fondateurs depuis plus de quarante ans. Enfin, j’ai croisé Marc dans le faubourg Saint-Jean-Baptiste comme j’ai croisé d’autres militantes et militants vifs et authentiques, pour qui j’ai beaucoup de reconnaissance. Ce qui fait la particularité de Marc cependant, c’est la quantité de ses traces : plans, maquettes, contre-projets d’architecture, écrits et dessins forment un important corpus. C’est ce qui a motivé l’exposition dont j’ai été commissaire en 2017, intitulée La Ville affrontée.
Ce qui distingue l’œuvre de Marc, c’est sa perspective sur la ville, tant sur le plan idéologique que sur le plan pictural. Non seulement il développait une vision d’un urbanisme convivial basée sur la démocratie directe, mais il savait la dessiner avec une finesse sans égale.
Marc Boutin a réalisé de nombreux plans et esquisses afin d’opposer des alternatives aux divers projets des promoteurs privés ou des autorités municipales. Ses oeuvres permettent d’imaginer la ville autrement, de considérer que l’utopie n’est pas qu’un rêve. Qu’éveillée, elle demeure à notre portée. « Soyons réaliste, demandons l’impossible » devient chez Marc Boutin « Soyons idéalistes, ensemble, exigeons le possible ».
Oui, bien qu’individuelle, son œuvre jette la lumière sur les luttes populaires et la solidarité. Elle manifeste une volonté de vivre-ensemble, de mieux-être collectif et d’auto-détermination. Lui rendre hommage, c’est saluer
la communauté des citoyennes et citoyens critiques et impliqués, concernés par les délires et incongruences urbanistiques de notre petite ville, de notre grand village de Québec.
Quand j’ai visité son atelier, j’ai été happée par la finesse du dessin. Bien qu’officiellement urbaniste ou journaliste, Marc est un véritable artiste. Il a la capacité de saisir la beauté du quotidien par des scènes urbaines ou de banlieue lointaine, et par là, la capacité à ne jamais être vaincu par le désenchantement. Aussi ses principaux matériaux sont la critique et l’imagination. Son œuvre, c’est la communauté: une communauté dissidente, une communauté utopique mais néanmoins réelle.
Hélène et Marc lors du lancement de l’exposition «La ville affrontée».
Photo : Patrick Dubé
L’art de Marc est populaire. Mais il redéfinit la conception du terme «art populaire ». Il ne s’agit pas d’une candeur esthétique retrouvée dans certaines représentations figuratives mais d’un art alternatif qui a l’audace d’espérer, sinon de dénoncer, et qui se réalise par, à propos de, et pour le populaire: bref, un art citoyen.
Marc avait toujours de bonnes idées en vue d’améliorer l’espace collectif. Son truc, c’était de penser aux piétons et piétonnes plutôt que de s’abêtir au tout-à-l’automobile.
Projet de passerelle entre le centre Lucien-Borne et le quartier, proposition pour l’îlot Saint-Vincent-de- Paul comprenant logements sociaux et espaces verts, sauvegarde des terres des Soeurs de la Charité, plan pour ajouter des « rues partagées » dans le faubourg, trajet de tramway alternatif, etc. Marc Boutin nous lègue une œuvre à construire, un quartier à préserver et toute sa résistance créative.
Très cher Marc, nécessaire Marc. Merci pour l’amitié, pour l’inspiration, pour cette colère que tu savais transcender en utopie réaliste. Merci pour cette énergie critique vive, moteur de création et de lutte contre la tristesse et la médiocrité.
DEUX EXTRAITS DE
INTRÏBO AD ALTARE
De François-Provençal Doyle
Extrait 1
Les postulantes païennes
Vu la beauté de l’horizon
Prennent la pente à reculons
Elles voient ainsi d’où elles viennent Mais ne savent plus où elles vont
Elles iront où leur constance les mène
Si prudes et rieuses dans un parc à l’anglaise
Ou dénudées et sérieuses dans un jardin symétrisé Comme Jeanne d’Arc en armes pour l’infinie lutte urbaine Elles iront au bout de leur peine et du sang inaltéré
Qui bleuit les globes de leur vision humaine
Sous le pont Samson coule la Saint-Charles Et nos amours faut-il qu’on m’en parle
Tant s’épuisent en révolte et contrebande Les fils impatriés de l’Irlande
Cognez sonettes brisées résonnez abris tempos humides De Rivière-Beaudette à Blanc-Sablon
Du lac Mégantic à la baie Déception
Une nation désespérée carbure à l’humour et à l’essence
Dessin de Marc fait par Hélène Matte dans le cadre de l’exposition « La ville affrontée ».
Extrait 2
J’ai longtemps envié les voyageurs
Avant de partir un jour à regret
Les murs se désorganisent
Des rats blessés courent dans l’entre-plancher Le vent hurle au loin et siffle aux fenêtres
Au premier palier de l’escalier
Les invités s’impatientent
Entends-tu les invectives les cris de honte
Ce sont des rôdeurs des personnes sans retenue Qui agissent envers des enfants laissés seuls
Et vont jusqu’à commettre des crimes
Derrière le rideau de scène
Du chœur d’une église désaffectée
Tu as pris ma main
Ne quitte pas maintenant
C’est l’heure où le soleil s’allonge
Ses rayons débordent le plein-jour
Et éclairent une raie de poussières en suspens Les points lumineux s’agitent
Puis lentement se déposent
Comme une neige vaine la neige du temps
Qui allège la durée des heures
Et permet aux enfants de dessiner
Sur le seuil des fenêtres
Moi qui ne tolérais la poussière
La voilà qui mesure mes moindres respirs
Ne pourrons-nous nous deux un jour partir