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Par Andrée O’Neill
Les choses n’ont peut-être pas évolué tant que ça depuis la parution de l’ouvrage phare de Simone de Beauvoir. Le travail est sans doute un gage d’émancipation économique pour les femmes, comme l’affirmait la célèbre écrivaine dans Le deuxième sexe en 1949. Mais plus de 70 ans plus tard, les emplois qu’elles occupent compromettent encore très souvent leur santé physique et leur équilibre mental. Car dans leurs milieux de travail, elles sont encore vues comme le deuxième sexe. Elles endurent une organisation du travail difficilement compatible avec leurs besoins; elles subissent du harcèlement et de l’intimidation; elles mettent en péril leur intégrité physique et mentale à cause d’une charge de travail excessive. Les conditions d’emploi des femmes sont loin d’être optimales en 2021, non seulement en matière de rémunération (malgré l’adoption, il y a 25 ans, de la Loi sur l’équité salariale) mais de santé, de sécurité et de conciliation travail-vie personnelle.
Karen Messing est spécialiste de la génétique et de l’ergonomie. Professeure émérite à l’UQAM, elle a consacré sa carrière à scruter les vies des travailleuses et des travail-
leurs. Elle a contribué à faire reconnaître les questions de genre par les syndicalistes et les scientifiques. Dans Le deuxième corps : Femmes au travail, de la honte à la solidarité, elle se penche sur la façon dont les employeurs considèrent les différences bio- logiques entre les hommes et les femmes, mais aussi sur la façon dont les femmes elles-mêmes se perçoivent et ont appris à se percevoir. Cette perception négative, le fait que les femmes peinent à nommer et reconnaître leurs mauvaises conditions d’emploi, la difficulté de sortir de l’isolement et de libérer leur parole à ce sujet, voilà peut-être quelques pistes d’explications du conflit entre le combat pour l’égalité des femmes et la préservation de leur santé.
Et si le marché du travail compte encore tant de femmes pour qui l’égalité est inversement proportionnelle à la santé, c’est aussi, selon Karen Messing, parce que « les espaces, les outils, les horaires et les équipes de travail ont été conçus dans un monde binaire dominé par des hommes cisgenres d’origine européenne et de classe supérieure ».
La pénurie de main-d’œuvre est un thème récurrent de l’actualité depuis un certain temps. Les centres d’hébergement et les agences de services à domicile peinent à recruter du personnel. Pas une vitrine de commerce —épicerie, restaurant, pharmacie, etc.— qui n’affiche au moins une offre d’emploi. Les associations d’employeurs (le Conseil du patronat, les chambres de commerce) ainsi que certains partis politiques et certains ordres de gouvernement ont une forte tendance à attribuer cette pénurie d’employé·e·s aux mesures de soutien financier adoptées par le gouvernement fédéral au plus fort de la pandémie de COVID-19. Mais ô surprise, ces postes aujourd’hui vacants sont d’ordinaire majoritairement occupés par des femmes : préposé·e·s aux bénéficiaires, aides-ménagères, caissières de supermarché, serveuses de restaurant... Ces emplois, entre autres inconvénients, sont mal payés (surtout dans le secteur privé), entraînent de nombreuses blessures musculo-squelettiques et n’offrent souvent que des horaires brisés.
Est-ce le signe d’un réveil ou d’une remise en question si moins de candidat·e·s que jamais postulent à ce type d’emplois? Est-ce que la pandémie de COVID-19 commence à transformer notre échelle des priorités? « J’aime ça, la pénurie de main-d’œuvre, disait l’auteure en entrevue à CKIA le 13 octobre, ça force les employeurs à améliorer les conditions de travail. »
Il faut souligner que Karen Messing reconnaît ne pas beaucoup aborder dans Le deuxième corps la réalité de certains hommes et des personnes LGBTQ2S+. Elle explique cette lacune par le peu de visibilité ou de présence de ces personnes dans les instances syndicales et les milieux de travail syndiqués sur lesquels a porté une grande partie de son enquête. C’est une affirmation étonnante qui mériterait un livre entier, mais on peut quand même partir du principe que l’oppression qu’elle y décrit recouvre la réalité de beaucoup d’hommes et de personnes LGBTQ2S+. On peut également souhaiter que son ouvrage nous aide malgré tout à faire quelques pas vers un monde où aucun·e d’entre nous, femme ou homme, LGBTQ2S+ ou cisgenre, n’aura à choisir entre la santé et l’égalité.
Karen Messing, Le deuxième corps : Femmes au travail, de la honte à la solidarité, Écosociété.