Par Charles-Olivier P. Carrier

Le 19 mars dernier, à la veille de l’élection, le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, présen- tait son plan d’action « pour un système de santé humain et performant » et devenait ainsi le quatrième des six derniers ministres de la Santé à présenter une réforme du système. C’était évidemment une annonce électorale dont l’arrivée permettait tout de même d’être inscrite dans le précédent mandat et de justifier le slogan « Continuons ».

Quoi qu’il en soit, maintenant élu, on peut maintenant s’attendre à ce que le gouvernement mette en place ses promesses. Qu’en est-il?

Le bon

Après presque trois ans de pandémie, c’est l’évidence même que le système de santé doit être réformé en profondeur. Ce qu’elle a d’ailleurs peut-être révélé le plus clairement, c’est la gestion bureaucratique, presque dicta- toriale et en tout cas déficiente de la main-d’œuvre dans le système. Faisant complètement rupture avec les straté- gies néolibérales de gestion « maigre » des dépenses étatiques, le Plan Dubé prévoit une embauche massive de personnel autant que des investissements conséquents. Par ailleurs, le Plan prévoit également la mise en place de l’autogestion des horaires, ce qui permettrait en théorie de réduire ou d’éliminer le temps supplémentaire obligatoire (TSO), d’améliorer ainsi les conditions de travail et de favoriser la rétention du personnel déjà en place.

L’autre grand changement positif avec l’annonce de ce pro- jet est le changement de discours autour de la « première ligne ». Alors que jusqu’à maintenant celui-ci était tourné exclusivement vers l’accès à un médecin, l’annonce de la mise en place d’un guichet d’accès à la première ligne est un pas vers la reconnaissance du travail des profession- nel·le·s non-médecins. Néanmoins, il n’y a rien de prévu dans le Plan du gouvernement pour revoir le mode de rémunération et dépasser les incitatifs financiers pour motiver les médecins à réaliser cette nécessaire collaboration multidisciplinaire.

La brute

Cependant, l’élément le plus important du Plan de refonda- tion en santé est sa volonté que « Chaque Québécois [sic] qui le souhaite doit être pris en charge au sein d’un groupe de médecine familiale ». Cette place accrue donnée aux groupes de médecine de famille (GMF) est synonyme de privatisation du système de santé. L’objectif de cette me- sure n’est évidemment pas de privatiser le financement du système de santé. Les GMF conservent en effet un finan- cement public – au même titre que les hôpitaux ou CLSC – mais il est plutôt de privatiser la prestation des services. Les objectifs contradictoires des partisans de ce type de proposition sont de « diminuer la pression sur le réseau public » et de créer un modèle lucratif où le financement est fait à l’activité. En réalité, chaque nouvelle recrue qui travaille dans le réseau privé n’a pas été clonée : elle a été recrutée dans les salles d’opération des hôpitaux ou sur les bancs des CLSC.

Le véritable objectif de ce modèle est de se poser en compétition avec le réseau public dans l’espoir que cette compétition force les institutions publiques à devenir plus performantes.

En réalité, autant les services offerts au privé que le financement à l’activité sont bien moins efficients que le financement universel des services publics. Les entreprises lucratives exercent effectivement une ponction
sur le financement qui est redirigé vers les poches des investisseurs plutôt que dans les soins aux patient·e·s. Par ailleurs, la gestion du financement à l’acte demande toute une armée de fonctionnaires qui doivent attribuer à chaque intervention une valeur monétaire. Sans compter que – dans Saint-Jean-Baptiste on en sait quelque chose avec le déménagement du GMF-U Haute Ville – il y a peu de contrôle public sur l’implantation de ces services sur le territoire.

Le truand

Du reste, le Plan Dubé est plein d’intentions louables ou évoque des réflexions nécessaires : l’intention d’abandon- ner le TSO, la volonté de réduire le recours aux agences de placement, la promesse d’une « vaste décentration » de la gestion, un virage vers le soin à domicile, ou la nécessité de réforme de la santé publique au vu des enseignements tirés de la pandémie de Covid-19. Or, toutes ses bonnes intentions sont pour l’instant dépourvues de mesures concrètes qui permettent de les mettre en place. Pire encore, si on parle de décentralisation, c’est essentiellement pour donner plus de responsabilités aux cadres intermédiaires et non pour démocratiser la gestion du système. En effet, peut-être que les plus grands oubliés du Plan Dubé restent les centres locaux de services communautaires (CLSC), qui incarnaient pourtant, avant les grandes ré- formes du début des années 2000, une approche communautaire et démocratique de l’organisation de la santé.

En conclusion, si on peut admettre que le Plan Dubé définit certaines évidences, sa portée reste au mieux réduite.
En revanche, là où le Plan est extrêmement alarmant et
là où nous devrons suivre son application dans les prochains mois est dans le risque qu’il se traduise par une accentuation de la privatisation des prestations des soins. Le recours accru au privé sera en effet synonyme d’une réduction de l’efficacité et de l’accessibilité globale des soins de santé.

PLAN DUBÉ : LE BON, LA BRUTE ET LE TRUAND