Crédit photo : Débora Flor

Par Alice Guéricolas-Gagné

À propos de la murale qui s’installera au Passage Olympia au cours de l’été 2024 Véronique a raciné. De ses pinceaux jaillirent des vignes multicolores. Puis, elle pensa qu’il manquait de mots, et m’invita à griffonner. Après, trouvant que le social manquait, elle offrit à Débora et à moi de proposer trois ateliers de création dans le quartier. L’arrivée d’une murale, ça se fête ! Et ça se prépare. Alors, à l’automne 2023, nous allâmes puiser derrière les portes, au creux des cœurs et des mains, là où se lovent les rêves.

Je rentrai dans Saint-Jambe par la porte de son passé, moi qui ai tant rêvé de son futur. Au mois d’août, au Comité populaire, Denis, Hélène et moi ouvrîmes des albums photos des luttes sociales. Des nappes de nos mémoires se répandirent à différentes hauteurs, car je n’étais qu’une fillette alors qu’il et elle occupaient déjà le squat de la Chevrotière. Il y avait entre ces albums tant de visages à reconnaître. Et des bribes de conversation prenaient leur sens, me dis-je en regardant les photos des funérailles des droits et libertés dont m’avait parlé Stéphane lors de la marche pour les vingt ans du Sommet des Amériques de 2001.

En octobre, munies de nos photos des luttes et de nos pizzas d’Attaboy, Hélène et moi marchâmes jusqu’à la Maison des jeunes. Au grenier, attablées devant le film Saint-Gabriel de force avec des ados d’aujourd’hui, nous tournâmes machinalement la tête vers les escaliers lorsque le plan entra dans la maison où nous nous trouvions. Les policiers à l’écran allaient-ils monter nous chercher ? Ce jour-là, les jeunes réfléchirent aux luttes passées qui irriguent celles du présent, puis collèrent, puis écrivirent. Nous repartîmes de là avec leurs (épatantes !) créations sous le bras.

Quelques jours plus tard, je toquai chez Henri et Louise. Nous disposâmes les créations des jeunes en une micro-exposition de buanderie sur la machine à laver et la sécheuse, ce qui complétait à merveille la visite guidée de leur appartement-musée qu’il et elle offrirent aux aîné·e·s de l’Entraide du Faubourg. À l’heure du thé, les souvenirs, dont les œuvres avaient crocheté les serrures, remontèrent en nous, et nous ressentîmes, parmi cette collection constituée avec passion depuis cinq décennies, que « l’art unit et réunit », comme le dit Imelda.

Gilles, croisé au retour de la Maison des jeunes, désirait être des nôtres en novembre pour l’atelier à la Librairie Saint-Jean-Baptiste, où il écrirait que « les rues et les murs du quartier résonnent des échos de toutes ces luttes que Saint-Jean-Baptiste a connues depuis des décennies ». Le récit de ses souvenirs s’additionna à celui de Denis, qui commenta des photos du Mouvement Saint-Gabriel, du Sommet des Amériques, de l’occupation du squat de la Chevrotière et de la fondation de la coopérative L’escalier. D’autres couches s’ajoutèrent au millefeuille de mémoire : ici, par l’intervention de mon papa dépêché comme journaliste au Sommet, là, par la présence de deux enfants (devenu·e·s grand·e·s) de « Gadou », l’un des initiateurs de l’Opération Soleil qui visait à restaurer des maisons du quartier dans les années 1970.

L’une des participantes à l’atelier de la Librairie évoqua les murs qu’il reste à faire tomber. Et toi, chère murale, qui côtoie un mur de près, qu’en dis-tu ? Maintenant, c’est à ton tour de te laisser parler d’amour, de te laisser raciner, du végétal au social, et inversement.

Les racines d'un ciel comme une échelle